Ferdinand et les iconoclastes

Lorsque le jeune Ferdinand Bataille, traits cassés sur peau mate, imper fatigué du premier de la classe, est engagé par HBMB (pour " Health, Beauty, Mind and Body"), un géant des cosmétiques, rien ne laisse soupçonner qu'il sera bientôt l'un des dirigeants qui font et défont le destin du monde.

Il y a deux Ferdinand : le "cost-killer" d'apparence réservée, le business-man implacable et rationnel. Mais aussi l'idéaliste vulnérable qui traîne ses faiblesses, ses angoisses et ses questions sur le sexe, l'amour ou le sens de la vie. Un fou de science et de technologie qui s'endort épuisé sur le clavier de son ordinateur, se lie à la trop sensible Mélissa mais se perd entre les mains d'une Joséphine experte et ambitieuse. Un solitaire qui vole dans les ciels purs, pilotant son avion pour oublier "qu'il a grandi sans enfance, s'est marié sans amour et survit sans plaisir."

Du haut de sa pyramide, tandis que la mondialisation progresse et que les profits explosent, nourrissant l'exclusion et les déséquilibres, Ferdinand pressent que les choses ne dureront pas. Comment concilier le travail et l'utopie ? Le loisir d'une vie et les heures volées aux salariés, ces poupées de chair qu'on jettera bientôt à la poubelle ?

Une solution naît de l'amitié entre Ferdinand et les "Iconoclastes", un groupe de scientifiques, qui aiment le jazz, le bavardage et les défis. Ferdinand deviendra-t-il le nouveau prophète de la fin du travail ? Et finira-t-il comme le veut la tradition : crucifié ?

Editeur : Grasset (03/03)
Broché
ISBN: 224662651X

Editeur : J'ai lu (08/02/06)
Poche: 247 pages
Collection : J'ai lu Roman
ISBN-10: 2290343765
ISBN-13: 978-2290343760


REVUE DE PRESSE

Technikart

Femme du mois avril 2003 dans Technikart
Dans son « Ferdinand et les Iconoclastes », elle s’engage contre l’aliénation du travail.
Valérie Tong Cuong, c’est le village global dans les nuages. Son quatrième roman, paru chez Grasset, mixe technologie et poésie. «Ferdinand et les Iconoclastes» raconte le parcours d’un workaholic qui rêve de libérer l’humanité du travail.
Pas une simple success story mais un livre sur le succès de l’humain à l’échelle de l’histoire. Sorte de martyr néomarxiste tendance Thierry Hermann, Ferdinand est un winner en affaires mais s’ennuie à mourir côté cœur. Et Valérie Tong Cuong lui fait ainsi porter tout le paradoxe de notre société contemporaine.
Facile ? Pas tant que ça. Le succès, selon elle, ce serait «d’arriver à faire réfléchir les gens». Leur faire comprendre, notamment, que l’intelligence artificielle a déjà commencé à changer le monde. Que le travail ne rend pas libre. Et qu’il vaut mieux faire suer des machines plutôt que des hommes.
«Oui, ce livre a une vraie valeur pédagogique», estime-t-elle. Si Jeremy Rifkin a réfléchi aux mutations possibles du capitalisme et Maurice Dantec, aux robots intelligents, pourquoi pas une fiction qui vulgariserait leurs travaux ? C’est la question qui s’est posée chez Grasset en découvrant le projet.
Pourtant, Valérie a plusieurs gros défauts : elle est blonde, belle, mère de famille comblée, et elle fait de la musique (le groupe Quark) avec son mari Eric Tong Cuong, golden boy de la pub reconverti dans le music business. Elle ne court ni après la notoriété ni après le fric.
Mais ses attachées de presse successives ont toujours eu tendance à plus vouloir vendre au journaliste ce package trendy que l’écrivain elle –même. C’est dommage. Car l’écrivain Tong Cuong s’en tire mieux que bien. Ses trois précédents romans («Big», «Gabriel» et «Où je suis») démontraient une capacité à s’emparer de personnages inattendus : une grosse, un vieux, hors de tout académisme, qu’il soit classique ou trash.
Cette «femme de» se paie même le luxe d’expliquer que «ce bouquin, c’est tout sauf un coup de pub. La couverture a été réalisée par un collectif de copains et on a monté un site web sans en parler à mon éditeur avant qu’il soit en ligne».
Aussi énervée au fond que réservée en surface, Valérie s’enflamme froidement : «tout le monde sent, ou pressent qu’on va dans le mur. La question que je me pose, moi, c’est : et après ? Des bulles pourries éclatent partout, j’espère maintenant que les ronds concentriques vont atteindre de plus en plus de gens.»
On commence à aimer ses métaphores marécageuses et surtout ses oxymorons : son sourire triste et sa gentillesse hargneuse, sa naïve lucidité. On se reprend. On défend l’idée que la révolution est un vieux rêve de bourgeois et qu’il est même un peu pervers de faire croire au lecteur qu’un grand de ce monde comme Ferdinand serait disposé à le changer ; Alors Valérie parle d’elle, au milieu de son salon aux boiseries brutes : une enfance banlieusarde et une jeunesse foireuse d’autodestruction forcenée. Le Coca light lui pique les yeux. «Eric m’a sauvé la vie», c’est tout. Les marmots déboulent, disent bonjour poliment, sautent sur le canapé. «Quand j’ai eu des enfants, j’ai enfin pu percevoir le monde qui m’entoure», explique-t-elle.
Pour revenir à la pub, attention à l’effet «Canada Dry» : souvent, un artiste ou une œuvre prétendument authentique se révèle n’être qu’un produit. Mais la réciproque est beaucoup plus rare. Avec Valérie Tong Cuong, tout à l’air savamment marketé mais la démarche est sincère et désintéressée. Ceci est bien une bière, avec des bulles mais pas franchement sucrée.

Pascal Bories

Le Magazine Littéraire

«Avancer, progresser. Toujours faire plus et faire mieux», martèle le héros du dernier livre de Valérie Tong Cuong.
Credo qui pourrait tout aussi bien être attribué à cette dernière, écrivain de jour (elle a publié Gabriel, Big, et Où je suis), musicienne de nuit (elle est la chanteuse du groupe QUARK) et mère de famille à plein temps.
Brillant diplômé récemment engagé dans une multinationale de cosmétiques, Ferdinand cumule les atouts : méconnaissance de son charme, intelligence fulgurante, perspectives de carrière élevées. L’avenir de ce manitou de la rationalisation-expansion au look délicieusement suranné s’annonce donc radieux. Mais l’avide Joséphine est résolue à ne pas laisser filer l’oiseau rare. La manipulatrice va ainsi l’envoûter s’immiscer dans sa vie et l’enchaîner à elle ; jusqu’au jour où le jeune homme, écœuré par l’automate sans rêves qu’il est devenu, fait sauter les verrous de son propre système pour reconquérir sa liberté.
Le quatrième livre de Valérie Tong Cuong, iconoclaste en matière de critères censés définir une « vie réussie », poursuit son exploration de la solitude moderne, de la difficulté d’être confronté à soi. Ainsi les éléments susceptibles de faire écran, qu’il s’agisse de l’entreprise ou du couple, sont les bienvenus ; quitte à sombrer dans le pur mécanicisme.
Roman ambitieux aux multiples facettes, Ferdinand et les Iconoclastes est une satire sociale de l’univers de l’entreprise aussi bien qu’une histoire d’amour en suspens. Mais c’est surtout une fable originale sur la déshumanisation, l’instrumentalisation et la dépossession de soi.
Valérie Tong Cuong offre ici davantage que les qualités d’imagination qu’on lui attribuait déjà : elle rend compte sans s’essouffler d’une formidable ascension sociale sur dix années d’existence, accompagnée de dégringolades intérieures et suivies d’un réveil et d’une métamorphoses tardifs. Et le réalisme dont elle fait preuve, manquant quelque peu de cette poésie à laquelle son personnage aspire justement, nous conduit néanmoins avec sûreté au cœur de la morale à tirer de ce conte : le cœur de Ferdinand lui-même.

Jessica Nelson

Marie Claire

Et si demain on clonait les O.S. ?
C’est une jolie fille blonde qui partage avec son mari et leurs trois enfants un dortoir d’une école religieuse transformé en loft beau-beau. Des disques, quelques centaines, et des guitares, quelques spécimens vintage, remplacent les petits lits à barreaux et les missels du temps jadis.
Valérie Tong Cuong est une femme multiple : chanteuse, romancière et mère de famille. La voici à nouveau en chanteuse très noire dans «Sombre extase», le disque tendance trip-hop qu’elle a concocté avec Quark, le groupe prometteur de son mari.
La voici aussi avec «Ferdinand et les iconoclastes», une fable efficace sur le «struggle for life» et ses limites. Un cadre sup accède à de très hautes responsabilités au sein du géant de la cosmétique Health, Beauty, Mind and Body.
Ce bourreau affable dégraisse son personnel plus efficacement encore que les crèmes amincissantes dont il est le camelot en chef. Les brouettes de stock-options et les brassées de femmes en stock constituent le carburant de cet apprenti aviateur à la tête parfois dans les nuages.
Car Ferdinand le conquérant masque une seconde peau, plus proche d’un Paul Lafargue et son «droit à la paresse» que celle d’un Terminator à la Bill Gates. Son idée, qu’il va tenter de mettre en pratique : remplacer les «travailleurs» par des clones créés à cet usage. Des esclaves décérébrés au turbin pendant que leur doubles se la couleront douce ad vitam...
Scandale à la World Company, où le travail est non seulement un droit mais un devoir obligatoire ! L’iconoclaste réussira-t-il cette révolution du troisième type ? Pour notre Rosa Luxembourg du farniente, les jeux sont faits :
1/ le monde est désormais dominé par le pouvoir économique (au détriment du politique et du social)
2/ Mais la fin du travail est inéluctable (au bénéfice de l’activité ludique et culturelle).
3/ Les progrès de la science et de la technologie rendent tout cela possible.».
Avec Valérie Tong Cuong, la fête du travail durerait troi-cent-soixante-cinq jours par an. Son livre brillant, qui est aussi une fine étude des mœurs bureautique, fait, lui, travailler nos méninges. En attendant le Grand Soir cool.

Fabrice Gaignault

Air France Magazine

Portrait
Sept questions-réponses pour faire le tour du monde d’un artiste. Ce mois-ci, incursion dans le double univers de l’écrivain et chanteuse Valérie Tong Cuong, présente avec Ferdinand et les iconoclastes, son quatrième roman, et Sombre extase, le troisième album du groupe Quark.

Née pour voyager, voyager pour renaître pourrait être la devise de Valérie Tong Cuong. Explorer sa planète intérieure en même temps que la Terre : de ce double défi, elle a fait un double outil de connaissance. Qu’elle manie en avançant sur la double voie/voix de la littérature et de la musique. Ce mois-ci, la voix de la chanteuse s’exprime sur les plages de Sombre extase (Naïve), le troisième album du groupe Quark ; celle de l’écrivain dans les pages de Ferdinand et les iconoclastes (Grasset), son quatrième roman. Avec elle, forcément, notre questionnaire «Le monde selon…» devient «Les mondes selon…»

Enfant d’une famille modeste, mais qui «dépensait sans compter pour les livres», Valérie Tong Cuong s’abreuve de Balzac, Proust ou Zola, avant de dévorer les écrivains de la route comme Kerouac, et ceux de la quête d’identité, Camus, Genet... À 15 ans, mue par l’urgence de s’arracher à ses racines, elle part à l’aventure et, de fugue en errance, se retrouve à Genève, plus tard en Amérique du Sud, à Moscou, aux États-Unis. Revient pour des études de lettres et de sciences politiques, repart... En ces années 1980, les routes musicales longeant son périple sont celles de la rébellion bien sûr, les Clash, les Sex Pistols, mais aussi celles de musiciens «porteurs d’histoires», Gainsbourg d’abord et surtout, mais aussi Bowie et les maîtres du jazz. Un parcours hors des sentiers battus, parfois «chaotique», mais qui lui a fait comprendre qu’un «être libre est un être de choix».

Après des escales dans le journalisme et la publicité, elle passe de l’autre côté du miroir, avec un premier roman en 1997 et le premier album du groupe Quark en 1999. Désormais, un mari musicien et deux enfants l’accompagnent sur sa route. Pendant que de nouveaux sons et personnages viennent baliser sa traversée artistique.

Q: Comment avez-vous découvert les mondes de la littérature et de la musique ?
A: J’ai appris à lire très tôt et, aussitôt, j’ai dévoré toutes sortes de livres. Élevée par des parents pleins d’amour mais stricts, la lecture, puis bientôt l’écriture, étaient mes seuls espaces de liberté. Vers 9-10 ans, j’ai vécu une passion pour Zola, dont l’engagement dans l’affaire Dreyfuss me fascinait. J’ai commencé à écrire au même âge, une activité secrète, solitaire, qui m’a permis de bâtir un monde caché, mais très peuplé, de personnages, de héros... Et, bien sûr, d’exprimer mes doutes, mes difficultés, ma différence par rapport à ce que mes parents voulaient faire de moi : une première de la classe dans la norme. À l’adolescence, j’ai trouvé dans la musique un véritable complice d’évasion et, plus tard, un compagnon de route. Je ne voulais qu’une chose : partir, partir, qu’importe la destination! Gainsbourg, les punks, la soul américaine ont donc été le fond sonore de mes errances.

Q: Quel est votre itinéraire dans le monde de la littérature ?
A: Je n’ai jamais arrêté d’écrire secrètement. Pendant longtemps, j’ai mené une double vie : le jour, je travaillais, je parlais «comme tout le monde». Et la nuit, je passais à un autre univers, un autre langage, seule avec l’ordinateur, pendant que mon mari musicien répétait en studio. C’est lui qui m’a surpris une nuit devant l’écran et qui a tout déclenché. Car, dès qu’il a lu mon texte, il ne m’a plus lâchée pour que je présente mon manuscrit à un éditeur, ce qui était pour moi une démarche inconcevable. Aujourd’hui j’en suis à mon quatrième roman. J’ai toujours gardé la même ligne, loin des courants et de cette mode de l’autofiction. Dans mes précédents livres, j’ai mis en scène une obèse, un travesti, une psychopathe... Personnages qui m’ont permis, à travers leur étrangeté, d’exprimer mes interrogations sur les sentiments, sur la solitude, sur le sexe. Le héros de mon dernier roman est l’un de ces dirigeants qui façonnent la planète. Arrivé au sommet de la pyramide, il prend conscience des dérapages du système, de cette folie qui couve partout et, dès lors, n’a qu’un but : changer le monde.Et il va trouver la solution ! Il s’agit d’un roman engagé, idéologique, mais aussi d’action avec, comme dans mes autres livres, une structure cinématographique : lorsqu’on change de chapitre, on change de lieu, d’univers, de rythme...

Q: Et dans le monde de la musique ?
A: En même temps que ce roman sort le troisième disque du groupe Quark. Au début, les deux autres musiciens m’avaient demandé d’écrire des textes. Un jour, François, le batteur et le sorcier du son, m’a lancé: “Pourquoi ne pas les chanter?” Et je l’ai fait. Ensuite, nous avons commencé également à composer ensemble. Nous sommes trois, mais au gré des séances, d’autres se joignent à Quark. Sur Sombre extase, il y aura un bassiste new-yorkais, un bassiste irlandais, un chanteur iranien. À la différence des deux premiers albums, Quark et Manga, très électro, celui-ci a un son plus rock.

Q: Quelles sont les capitales de votre planète littéraire et musicale ?
A: Paris, Londres, New York. Plus que des capitales, elles sont comme trois parties émergées d’un iceberg de nouvelles idées, entre lesquelles circule un bouillon de culture phénoménal.

Q: Vos lieux et sources d’inspiration ?
A: La rue avant tout. Et partout. J’ai beaucoup voyagé et je continuerai, j’espère. Où que je me trouve, je crée facilement un lien de confiance avec les autres, peut-être parce qu’ils me sentent attentive. Je m’intéresse à ceux que je croise, à leur histoire, leurs fractures, leurs expériences.

Q: Vos prochaines escales ?
A: L’inspiration va-t-elle durer ? Je m’imagine difficilement vivre sans écrire. Pour l’instant, comme à chaque fois, les personnages du dernier livre sont encore avec moi. Mais je veux explorer d’autres formes littéraires, celle de la nouvelle plus particulièrement. En musique, j’ai envie d’écrire aussi pour d’autres. Tout en continuant avec Quark. Car nous avons acquis une certaine maturité en tant que groupe, un son qui n’appartient qu’à nous.

Q: Où vont les mondes de la littérature et de la musique ?
A: Le monde de la musique va toujours vers plus de mélange. C’est la sono mondiale! Il y a en ce moment un retour du rock organique, mais aussi des textes, des vraies chansons. Quant à la littérature, c’est l’être mouvant par excellence. Elle s’ouvre de plus en plus à tous les genres, toutes les formes, tous les discours. Hélas, beaucoup d’enfants aujourd’hui n’y accèdent que d’une manière superficielle. Ma conviction est que le rôle de notre génération est de transmettre l’art de lire.

La Provence

Merveilleuse Valérie Tong Cuong.
Elle ne ratiocine guère, crée à chaque roman l'émotion. Ici, c'est le grotesque de nos fonctionnements d'entreprise -tout pour pavoiser en haut de l'échelle- l'aliénation qui en découle qu'elle prend pour cible. Avec une chute qui plairait à Albert Jacquard. Enfin"chute". Montée intellectuelle plutôt! A lire absolument même si nous n'avons pas ici la place d'écrire tout le bien qu'on en pense.".

Christine Georget

Le Bien Public

L’utopie entre patience et destin
Surprenant roman de Valérie Tong Cuong : voici le livre de toutes les dénonciations du monde pseudo moderne. Implacable.
On n’aurait jamais cru la farouche Valérie Tong Cuong, l’auteur de Big et Où je suis, capable de nous offrir pareil roman sur la fin du monde capitaliste et la révolution du travail par la technologie la plus sophistiquée.
Et pourtant voici que paraît, pas forcément au mauvais moment, Ferdinand et les Iconoclastes : quelle mouche a piqué Valérie la musicienne, Valérie la cruelle ?
Ce mot de Sartre, peut-être, qu’elle a placé en exergue : «Il n’existe toujours pas de théorie marxiste de la révolution et de l’état révolutionnaire dans un pays développé». Bien vu. Sartre est mort trop tôt pour savoir que cette théorie allait exister et que c’est Ferdinand, le héros de Valérie Tong Cuong, qui allait l’inventer.
Délivrer les hommes du travail, leur offrir une société de loisirs, «oui, imagine une société dans laquelle l’homme, libéré de ses contraintes, se préoccupe principalement d’éducation, de culture, de loisirs» dit-il.
Le robot Gillespie. Les iconoclastes, ce sont les amis décalés de notre Ferdinand devenu président worldwide d’une firme de cosmétiques (HBMB : health, beauty, mind and body), notamment un informaticien un peu fou et qui est surnommé Dizzy car il s’adonne au jazz à ses heures. C’est avec eux que Ferdinand va révolutionner le monde et inventer le robot parfait, Dieu technologique descendu sur terre et répondant bien évidemment au nom de Gillespie !
Le roman de Valérie Tong Cuong, dont il est difficile de dire plus de l’aventure, sans en retirer le suspense au lecteur médusé, est tissé de cette ascension d’un gentil french businessman affublé d’une non moins arriviste et people épouse (JJ) en même temps que ces dérapages existentiels qui rendent finalement Ferdinant plus proche des poètes utopistes que des capitaines d’industries vivant de stock-options et de cours de la Bourse.
Pour l’amour de Mélissa. Et puis il y a Mélissa, le bras droit, la secrétaire modèle, l’amoureuse transie qui n’ose pas le dire, la Pénélope qui use sa vie dans le travail et des amours décevantes. Mélissa qui finira par trouver le chemin du cœur de son Ferdinand quand la catastrophe finale aura enfin rompu toutes les amarres.
Moins dure est la chute : «Dans sa main, Ferdinand sentit celle de Mélissa. Boucles souples, yeux clairs, bras ronds. Lèvres pâles et chaudes. Tant d’années, et enfin.»
La fable a la chair de tous nos rêves. Ferdinand s’envole, dans tous les sens du terme, vers des horizons inouïs où savoir enfin «sa patience et son destin».

Michel Huvet

Madame Figaro

Les livres font souvent de bons émissaires. Certains s’en servent pour régler des comptes. D’autres préfèrent y glisser de troublants messages. Valérie Tong Cuong est de cette race.
Et, devinant l’impasse dans laquelle notre monde met les pieds, elle profite de la liberté du roman pour renverser ses piètres valeurs.
Le jour où Ferdinand pousse la porte du challenger des cosmétiques mondiaux, son imper élimé sur les épaules, personne n’imagine l’ascension fulgurante qui l’attend. Quand ses collègues se pavanent dans les bars en vogue, il converse fiévreusement sur la Toile. En apnée la semaine, il ne souffle qu’aux commandes de son petit avion.
Aucun doute, ce curieux météore au charme décalé tranche dans le décor. Mais Ferdinand est un intuitif doublé d’un analyste hors-pair. Un idéaliste, aussi. Lorsqu’il arrive en haut de l’échelle sociale, son bilan lui fait mal : il «a grandi sans enfance, s’est marié sans amour et survit sans plaisir». Pour se sauver, il doit œuvrer à l’épanouissement de l’homme.
Satiriste inspirée, Valérie Tong Cuong chambre d’une plume rapide et affûtée la toute-puissante philosophie de l’entreprise et esquisse l’ère des loisirs à venir.
Une fable visionnaire brillamment menée, qui sonne diablement juste à l’heure où John Thornton, président de Golman Sachs, fait trembler le cercle des boursicoteurs en annonçant sa démission et sa reconversion comme professeur en Chine
.

Jeanne de Ménibus

Le Point

La tragédie du pouvoir
De l’avis des spécialistes, Valérie TC connaît la chanson. Elle est l’un des membres de Quark, groupe de musique électronique. Mais elle écrit aussi des livres. C’est musique ET paroles. Ses livres chantent la révolte de ceux de sa génération, avec des mots qui électrisent, dans une langue soigneusement rythmée. «Ferdinand et les Iconoclastes» est le quatrième roman de Valérie Tong Cuong. Son héros est un homme de pouvoir. Le roman raconte son irrésistible ascension dans une multinationale et son insatiable ambition.
Est-ce parce que l’auteur a travaillé dans la pub ? On songe au «99 francs», de Beigbeder, le sarcasme en moins, le romantisme désespéré de Tong Cuong en plus.
Au final, le livre sonne juste. Cette fable violente résonne comme une révolte, à mi-chemin entre la critique de la société consumériste de Naomi Klein et le cri poussé par les aînés musicaux de Tong Cuong : «IcoNoclaste» entre no logo et no future.
L’auteur-interprète a écrit une petite musique bien dans l’air du temps.

Daniel Picouly


REVUE DU WEB

L'e-novateur

Un icono-clash annoncé
"Sans accès à la technologie, le révolutionnaire n'est qu'un farceur." écrivait Takis dans les années 70, pour Radical Software, le journal des vidéo guerilla.
Aujourd'hui, la technologie est d'autant plus centrale à notre société que le progrès scientifique et la radicalisation du système libéral ont explosé de concert : nous croulons sous les nouveaux gadgets tandis que la classe moyenne perd rapidement les moyens de les acquérir.

De plus en plus productive, la technologie pose donc problème en menaçant l'emploi de pans entiers de la population, mais assure aussi un seuil de confort dont plus personne ne veut se passer. Cercle vicieux face auquel aucune bonne volonté d'état ne suffira, la solution exige un oeil... iconoclaste !

Son existence est un non-sens…
La révolution future commence prosaïquement par l'embauche d'un jeune diplômé d'une école de commerce. Quelque chose de sérieux dans son regard, son vieil imperméable qui semble sorti du siècle dernier, touche le cœur de Mélissa des Ressources Humaines. A moins de vingt-cinq ans, Ferdinand Bataille est une recrue prometteuse pour le géant des cosmétiques, Health, Beauty, Mind & Body. Chef de produit au département hygiène-beauté, le jeune homme focalise l'attention de ses collègues féminines, mais s'avère étrangement détaché des petits scandales quotidiens du bureau.

Dans son studio de la rue de Rivoli envahi de matériel informatique, les soirées sont rythmées par sa vraie passion : l'échange de données entre chercheurs sur internet, les débats insomniaques où philosophie et sociologie répondent aux sciences exactes, quand les avancées en physique et les algorithmes génétiques ouvrent des perspectives à couper le souffle... Puis, Ferdinand explore les mondes virtuels d'Everquest jusqu'au bout de la nuit en mangeant des bananes, penché sur son clavier. Pas de quoi affoler les filles ? Et pourtant !

Ton humanité, Ferdinand, nous on se la fout au cul
Trop hésitante, Mélissa ne peut que constater le manège de l'ambitieuse Joséphine, alias JJ, qui joue tant et si bien de ses charmes qu'elle se glisse dans la vie du jeune homme en passant par le lit, puis s'incruste à long terme dans une relation basée sur l'intrigue et la manipulation. Porté par quelques coups de génie et des journées de seize heures, Ferdinand gravit rapidement les échelons hiérarchiques jusqu'au sommet de la pyramide. Alors pourquoi se sent-il déjà mort ?

Ferdinand manque d'air, il se sent vieux avant l'âge et sa vie se referme sur lui comme un piège. Comment oublier "qu'il a grandi sans enfance, s'est marié sans amour et survit sans plaisir."? Le point de fuite se trouve en altitude : c'est aux commandes de son F22 que sa mémoire s'efface, qu'il peut accélérer le temps.
"La pureté le saisit et l'extase le renverse."
Régulièrement, il décide de rompre, pour cause de vide sentimental, sa liaison désormais officielle avec Joséphine, mais c'est le corps qui le trahit : son odeur, la chair rose et moelleuse de sa langue, la pulpe de ses lèvres sur la peau de ses couilles...

"Quelquefois tout le monde a tort et on est seul à avoir raison."
L.J. Allison, président d'Oracle

Quelques mois plus tard, aux bureaux de New York, alors que Ferdinand dirige la branche US du groupe HBMB, le French Genius passe la vitesse supérieure. Contraint de licencier des effectifs malgré les objectifs atteints, sous la pression des actionnaires, ce patron d'un nouveau genre retrouve le cercle de scientifiques visionnaires des nuits de sa jeunesse, ces iconoclastes dont les idées vont bousculer le monde. La justice sociale n'est pas une idée neuve dit Ferdinand, seulement sous-estimée. Tous les éléments sont en place pour matérialiser une solution inédite : JE SAIS dit Ferdinand, JE SAIS.

Nous allons organiser la fin du travail

Après le choc de Big, le constat de Gabriel, l'amertume d'Où je suis, Valérie Tong Cuong retrouve enfin espoir en compagnie des iconoclastes. C'est peut-être seulement au moment où le système part droit dans le mur qu'une utopie peut prendre forme, et comme souvent c'est entre les pages des romanciers qu'elle fertilise les esprits. L'écriture est ferme, élastique et précise, tellement évocatrice qu'on la croirait déjà déclinée sur écran de cinéma.

Ferdinand est bien l'héritier des mouvements underground, mais il s'est affranchi des clichés et des désillusions qui ont achevé les 70's. Nous sommes dans un millénaire où la science rejoint la fiction. Humain et logiciel s'unissent pour annoncer un salutaire renversement des valeurs.

Réservons la conclusion à l'auteur d'un roman vraiment e-conoclaste : "La société qu'imagine Ferdinand, c'est une société dans laquelle le travail revient à une place utilitaire, donc réduite, et cesse d'être une valeur centrale. Ce n'est pas seulement l'ère des loisirs mais aussi l'ère de la culture, de la science, des arts et de la solidarité. C'est une société fourmillante d'activités, donc fourmillante d'objectifs individuels autant que collectifs. Comme ce n'est pas une société anarchique, il y a forcément une forme de hiérarchie, qui est le corollaire de toute organisation. C'est une utopie sociale compliquée à réaliser, mais peut-être pas impossible !"

Lucie Guerrier