Où je suis

Agnès est une chasseresse. Séductrice avisée, elle appâte, piège, capture, vampirise, puis prépare le sacrifice : "C'est aujourd'hui qu'on tue le cochon".

Elle n'a qu'une seule idée : faire payer aux hommes l'obscur drame qui a refroidi son âme quinze ans auparavant. Seulement voilà, c'est elle qui succombe. Juste. Ce prénom raisonne en elle comme une promesse. Et Agnès se met à croire qu'elle peut renaître à la vie....

Editeur : Grasset (03/01/01)
Broché: 246 pages
ISBN-10: 2246607310
ISBN-13: 978-2246607311

Editeur : J'ai lu (08/02/06)
Poche: 154 pages
Collection : J'ai lu Roman
ISBN-10: 2290343757
ISBN-13: 978-2290343753


REVUE DE PRESSE

Le Journal du Dimanche

« La mort originelle »
«Il est encore possible d’éliminer quelque chose de mort». Cette phrase est le dernier mur contre lequel on s’écrase dans «Où je suis», le troisième roman de Valérie Tong Cuong. Cette fin fait écho à une interrogation qui devient obsédante dans le texte : «pouvait-on encore supprimer quelque chose de mort ?». Cette mort posée en point de fuite par l’héroïne. Une mort originelle : un viol, quatorze ans, cinq hommes, costumes-cravates gris, l’haleine anisée, le camping, les dunes, le sang, le sable. Ce viol traverse tout le corps du texte comme un projectile. Il ressurgit par fragments. Exhumé par une situation, un geste, un mot, une odeur. C’est là, peut-être, que s’exerce la plus grande violence sur le lecteur. Car nous, nous savons. Très vite, des bribes nous font pressentir l’horreur. Nous voilà donc détenteurs d’un secret définitif, que l’héroïne ne parvient pas à révéler à la seule personne qui devrait en être dépositaire. Avez-vous déjà ressenti l’envie de saisir une héroïne de roman par l’épaule, de la secouer et de lui crier « Mais dis-lui donc ! Dis-lui ! »
Dire à qui ? Qui est-il ? Qui est-elle ? Elle c’est Agnès, l’agneau de Dieu, l’agneau sacrifié. La pureté violée pour purifier l’ordure ? A y réfléchir, la plus insupportable des paraboles. Mais au début du roman, l’héroïne ne nous apparaît pas en agneau, mais en chasseur. Je dis bien en chasseur, côté dépeçage, pas en chasseresse version plâtre moulé pour parcs et jardins. L’héroïne chasse délibérément au masculin. Première vengeance. Elle chasse « à la sortie des bureaux », mais pas seulement « le cadre ou l’employé ». On assiste aux préparatifs, de la tenue –le camouflage se porte court- à l’hallali en forme d’abandon, en passant par l’affût de « six heures », l’appeau du corps et le piège qui se referme sur un trébuchement. On peut croire l’histoire partie pour l’itinéraire plombé d’avance d’un sérial-dragueur. Masculin toujours. Même si on sent tout de suite la fêlure qui rode. L’errance de la traque s’arrête avec la rencontre de Juste. Une passion instantanée, brûlante, exclusive, réciproque. Une passion tout occupée d’elle. Un passion jalouse qui ne laisse pas la moindre chance à un secret de se dire. C’est là qu’on a envie d’intervenir. Mais, dis-lui donc !… On regarde ces amoureux prodigues dilapider le trésor de leur rencontre. On se sent une âme de Codevi à leur conseiller d’investir dans un instant de révélation. On a honte de vouloir les transformer en rentiers d’un amour géré en bon père de famille. Après la fausse apologie de la retraite heureuse évoquée pour le Chien d’Ulysse, de Salim Bachi (que vous avez lu, j’espère) ça fait beaucoup. Pourtant l’héroïne essaie. « Je voudrais te parler, Juste ». Mais le tourbillon de ce présent consumé balaie tout. Deuxième envie de le secouer aux épaules : « Ecoute-la donc !». Ca devient maladif cette pratique de la secouade. Désolé, on ne peut pas s’empêcher de craindre pour eux. On sait que, sans cette offrande due au secret, on n’échappera pas à la machine à broyer.
Peu importe de savoir que Juste est beau, boxe, bosse dans une radio. Peu importe le parfait de leur union. Peu importe même, leur décalage absolu : il lui offre un week-end quand elle croit partir pour toujours. Peu importe Antoine, le frère protecteur et victime lui aussi du secret, ou Abel, le démon tentateur. A partir du moment où ce viol, cette mort originelle demeure un secret, l’histoire prend la forme d’une mécanique implacable, faite de malentendus, incompréhension, jalousie, vengeance. Un rien devient mortifère.
Et surtout, éviter les mots destin, rédemption, sacrifice. Ce texte si prenant est l’illustration du retournement obscène de la faute. L’être violé devient responsable à jamais. La victime se fait le propre bourreau d’elle-même. Les autres n’existent qu’à travers leur aptitude à vous détruire. Et d’abord l’être aimé.
Le talent vertigineux de Valérie Tong Cuong, c’est de mêler dans son texte la langue violente et inspirée de la passion sans retenue, et celle de la mise à l’écart, polie, cravatée très haut. La langue qui fait semblant d’y croire et celle qui a déjà compris. Une très belle réussite. Même si on se sent le cœur serré, le corps douloureux. Même si on se sent p’tit mec, vaguement honteux. Et pourquoi, me direz-vous ? Et pourquoi à 50 ans lit-on encore des romans en voulant saisir l’héroïne aux épaules ? Vous avez la réponse ? J’attends des lettres anonymes.

Daniel Picouly

Le Monde

«Huis clos. Victime de son passé, une femme cherche sa mort dans une passion démoniaque »
Valérie Tong Cuong a écrit un récit aux limites du supportable mais captivant parce qu’il subvertir constamment la tradition du roman d’amour. Sous l’apparence d’une histoire passionnelle, la romancière transgresse jusqu’au rituel apprivoisé du sadomasochisme. On croit d’abord pouvoir reléguer « Où je suis » dans la catégorie des récits provocateurs que les jeunes femmes publient aujourd’hui pour secouer le carcan des romances qui ont anéanti leurs grand-mères. Mais il ne faut pas s’arrêter à ce premier et trop facile constat. La violence du propos et le paroxysme de l’intrigue finissent par nous mettre K.O, d’autant plus que la cruauté se cache sous les larmes d’une jeune amoureuse pitoyable. Oubliées, les scories d’une écriture trop souvent bâclée, on est en présense d’un roman-choc.
Agnès, la narratrice que son amant appelle « petite mère » (cette association de mots contient déjà le leurre où se complait le couple), est serveuse dans une banale brasserie, grouillante de types affairés. Sa revanche, hors service, est de draguer d’autres hommes. Elle les rejette lorsqu’ils capitulent. Un grand Noir, superbe et tendre – Juste est son terrible prénom- les vengera tous. Folle amoureuse, la jeune femme l’attend, inerte, oisive, jusqu’à ce qu’il daigne la rejoindre et la fasse revivre sous ses caresses. Elle croit au grand amour. Il s’habitude à tant de flatteuse soumission.
L’art de Valérie Tong Cuong est de nous enfermer avec son héroïne dans le huis-clos où se répète à l’infini –et se consume- une liaison qui n’a que le sexe comme évidence. Fiction-text, « Où je suis » renvoie le lecteur à de pénibles interrogations. On est saisi de révolte, de dégoût même, d’étouffement, et d’une certaine manière, le dénouement tragique nous libère. Ce qui a fait la substance de tant de romans d’amour tourne ici au cauchemar. Comment faire éclater cette bulle asphyxiante (une pièce nue et son lit) où rien ne peut pénétrer que l’immense corps pénétrant du mâle ? Mâle tellement abruti par son rôle qu’il s’écarte d’une femme qui, dans ses rares moments de lucidité, avoue : « ma vie semblait parfois une toile obscure et complexe sur laquelle j’errais, bancale, trébuchant entre deux instants d’amour arrachés à l’emploi du temps de Juste ».
Le plus troublant du roman de Valérie Tong Cuong, c’est son astuce profonde, son machiavélisme des souterrains. L’ancienne chasseresse devient tueuse. Elle semble offrir à l’homme ce qu’il croit désirer : un corps dont il dispose à son gré et la gloire de l’orgasme quasi permanent qu’il sait provoquer. Juste fugue, s’accroche à Abel, un magouilleur qui le flatte. « Songe que dans cette ville où l’on se retourne encore sur mon passage parce que je suis noir, Abel, lui, m’emmène partout et me présente comme son ami, son frère ! ». C’est de l’homme blanc –et non pas de cette femme qui jouit dans ses bras- que Juste veut être reconnu. Homme de radio, bientôt modèle pour photographe de beaux mecs, Juste se tourne vers un monde de voyeurs qui lui donnent une existence sociale. L’homme au corps d’ébène s’épanouit dans la lumière, la femme blanche se fane, exsangue, anorexique, morte à elle-même. Par les chemins maléfiques d’une fiction obsédante et morbide, Valérie Tong Cuong remet en scène la vieille histoire de la séparation des sexes, implacable mise à mort où on ne sait plus qui, de la femme consentante ou de l’homme dominateur, a rompu le pacte illusoire.

Hugo Marsan

Les Inrockuptibles

Dans une ville, une fille d’à peine 30 ans part à la chasse. Elle ne se contente pas de séduire les hommes, elle les exécute en les faisant quitter femme et enfants avant de leur rire au nez et de disparaître. Agnès travaille dans une brasserie le jour et liquide les hommes la nuit, armée de sa garde-robe sophistiquée et d’un lot de souvenirs qu’elle voudrait oublier. Un jour comme un autre, Agnès rencontre Juste dans un bar, le bien nommé, un Noir d’une grande beauté, poète et marginal. Et sa garde tombe, plus rien n’existe pour Agnès, que Juste, sa protection, son odeur, les nuits dans l’ancienne loge de concierge. L’équipement de chasseresse est relégué dans un carton, l’amour se déploie dans un sentiment de sécurité et le couple entre en fusion. Mais comme dans les romans d’amour, le monde extérieur à la chambre des amants viendra les rappeler à l’ordre social. Juste a commencé à travailler pour une station de radio et devient modèle pour les photographes. Agnès quitte son emploi, tient le choc, se replie, et l’attend. Le malheur choisit de la rattraper par le biais d’une paire de chaussures que Juste lui a offertes. Avec ce cadeau qui devrait couronner leur union, commence la descente aux enfers. Pour Juste, ceux de la jalousie et de l’alcool, pour Agnès ceux du malentendu et de la violence subie. Ces escarpins sublimes font remonter l’image d’une sandale abandonnée dans les dunes par une fillette au corps martyrisé. Mais qui va l’aider, elle qui était sur le point de s’en sortir ? Son demi-frère à l’assistance insistante et suspecte dont le secret finira de l’achever ? Alors la phrase obsédante revient : « Pouvait-on encore supprimer quelque chose de mort ? « Inévitablement, la violence attire la violence, la haine appelle la haine, et l’amour la jalousie dans une chaîne impossible à briser malgré la finesse d’analyse et la force d’Agnès. Dans ce roman cruel et implacable, écrit avec un dépouillement presque classique, on entend une voix féminine éraillée et presque triomphante dans la douleur, affreusement juste.

Christine Fiszer-Guinard

Psychologies

« Un cœur violé ».
« Le piétinement ultime, c’est ça qui me fait jouir ». Agnès aime chasser les hommes, et dans un seul but : les humilier, les punir jusqu’au meurtre. Cette jeune serveuse de restaurant cultive l’isolement et entretient sa violence, murée dans le souvenir du viol qu’elle a subi à 14 ans. Son amour pour un nouvel amant annoncerait-il sa résurrection ? Telle une araignée, elle n’a d’autre pouvoir que l’attirer dans son univers obscur et retranché, car toute relation que cette femme entretient, avec elle-même et la réalité, est altérée et parasitée par le filtre destructeur de son traumatisme. Après « Big » et son héroïne obèse, « Gabriel » ou la vocation tardive d’un cadre moyen devenu chanteur de cabaret, Valérie Tong Cuong démontre pour la troisième fois son art de la métamorphose.
hache.

Valérie Colin-Simard

Le Bien Public

Les mains sales…
Peut-on encore supprimer quelque chose de mort, demande V. Tong Cuong dans son dernier roman, véritable symphonie pathétique.
Il me semble que Valérie Tong Cuong est musicienne : si tel est le cas, rien d’étonnant à ce que son troisième roman ait cette allure de variations sur un thème tragique. "Peut-on encore supprimer quelque chose de mort ?" est ainsi le leitmotiv obsessionnel de cette belle Agnès qui se venge avant que la mort ne se venge à son tour. Depuis qu’on suit l’itinéraire littéraire singulier de Valérie Tong Cuong, rarement eut-on ce sentiment haletant de marcher à ce point au bord du vide. Si Big était déjà une tentative de dénoncer, déjà, les apparences qui détruisent les âmes, Gabriel avait une toute autre allure, une allégorie fantasmatique sur la misère du divertissement pascalien. La quête de Valérie est à l’évidence celle d’Agnès, et c’est ce qui donne à ce roman terrible et poignant, Où je suis, sa vérité nue. Si Sartre n’avait déjà utilisé le titre, «les Mains Sales » auraient sans doute mieux convenu : une fois encore, l’obsession de la petite Agnès, qui s’y entend pour savoir attraper les hommes par leur misérable orgueil de mâle, est de survivre à l’horreur d’un crime sexuel. Mais survit-on, précisément, à ce qui n’a aucune chance de survie ? Le mal est en elle, Agnès, et rien ni personne, pas même Juste le « différent », le lecteur du Boxeur Manchot, ne pourra l’extirper.
Il eut fallu, peut-être, un amour plus grand que l’amour, le don total, l’amour fou, l’amour foi, l’amour divin pour qu’Agnès découvre –e qu’elle est bien prête de faire tant que Juste reste juste- que le mur gris cache peut-être un ciel immense.
Les coups pleuvent, Agnès ne sent plus rien car rien ne peut la toucher plus que la mort jadis implantée en elle. « La douleur dans mon crâne, la douleur dans mon corps ne sont rien, c’est seulement le cœur qui s’effondre et se brise, c’est seulement le ventre qui murmure, par pitié, c’est seulement ma vie qui bascule et s’enfonce. » On voudrait tendre une main secourable à cette jolie fille qui fait si bien tourner sa jupe comme jadis tournaient les manèges quand l’horreur la surprit, ventre à l’air, dans les roseaux. Valérie Tong Cuong ne veut plus que ses héroïnes commettent la moindre erreur, elle veut les arracher à la lenteur du monde. Est-il vraiment possible d’éliminer quelque chose de mort ?

Michel Huvet


REVUE DU WEB

amazon.fr

Certains thèmes - ici, le viol - font mauvais ménage avec la littérature. À les aborder, on évite rarement le voyeurisme vulgaire, ou le pathos ridicule. Valérie Tong Cuong évite l'un et l'autre écueil sans effort apparent. Maîtrise d'un écrivain déjà confirmé, ou authentique sensibilité ? On hésite devant cette construction savante, cette écriture sobre et sûre de ses moyens. Mais on se laisse prendre aussi par la violence rageuse de cette langue, son rythme implacable, ses allers-retours distribués comme coups de sabre dans la nuit. Nuit opaque, imperméable et bien épaisse d'une morte-vivante qui se débat avec son destin : jeu d'échecs, pions chauffés à blanc, où l'héroïne a perdu d'avance - où l'amour de la vie, la folie et l'irrationnel de la passion se heurtent à la souffrance, sa logique et son cheminement inéluctable. Tragédie en blanc et noir, palais des Glaces où Agnès ne cherche qu'une chose : la porte de sortie. Belle, poignante fin de partie. Cri sauvage, mais contrôlé avec rigueur, jusqu'à son terme. Du cousu main, tranché à coups de hache.

Scarbo

BookSweetBooks

Ce roman m’a fait penser à un bon café… il est court, noir et fort. Il se « déguste » lentement malgré sa taille, mais comme le café pourrait nous brûler, on tourne les pages lentement, pour en savourer chaque mot et pour assimiler toutes les saveurs du style et de l’histoire.

Le style du récit est parfait pour nous impliquer directement dans l’histoire. La narration avec les dialogues rapportés nous donne vraiment l’impression d’écouter une histoire narrée à voix haute, et le travail d’introspection d’Agnès, sans trop nous en dire, nous permet de cheminer progressivement avec elle vers là où elle est menée mais également jusqu’aux endroits les plus obscures de son âme.

Après avoir lu L’Atelier des miracles, j’ai acheté ce livre lors d’une rencontre avec Valérie Tong Cuong, et voici la dédicace qu’elle m’a offerte : «Le roman où l’on voit combien il est difficile parfois de distinguer la vérité de l’illusion… ». Je comprends maintenant. Comme il est difficile de s’épanouir dans ses sentiments lorsque notre perception des choses est faussée.
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Lisa MacLivres